vendredi 24 juillet 2009

Lu dans : Les inrocks.com



La Nouvelle République : un journal en crise

La presse française est malade. Dernier symptôme de cette crise aiguë : la lente déconfiture du quotidien régional La Nouvelle République. Menacés de licenciements, les journalistes se sont mis en grève pendant deux jours, empêchant ainsi la parution du journal.
Le 24 juillet 2009 - par Raphaël Malkin

On savait la presse mal en point, voilà une affaire qui ne fait que renforcer cette idée : la direction du quotidien régional La Nouvelle République, basé à Tours, vient d’annoncer la mise en œuvre prochaine d’un plan de suppression de postes visant 181 de ses salariés. La rédaction du quotidien a réagi au quart de tour et lancé la fronde : le 21 juillet, ce sont près de 280 salariés sur les 650 que compte au total le journal qui ont voté la grève. Résultat : pas de Nouvelle République ni dans les kiosques, ni dans les boîtes aux lettres pendant deux jours. Si l’édition du 24 juillet est finalement sortie comme le souhaitaient les journalistes, à la rédaction le malaise reste profond.

Depuis plusieurs années, les ventes de La Nouvelle République n’ont cessé de baisser. Les chiffres sont à ce titre accablants : la vente au numéro du journal vient de passer sous la barre des 30 000 exemplaires et le tirage quotidien est passé de 228 000 à 208 000 exemplaires. En cinq ans, le journal aura donc perdu près de 10% de son lectorat. Des résultats qui mettent à mal le mythe du journal régional ancré dans un terroir où les lecteurs sont fidèles depuis des générations.

La Nouvelle République, sixième quotidien national, serait donc la nouvelle victime d’une crise qui ronge la presse depuis quelques années déjà. «Un petit quotidien isolé ne peut survivre financièrement à notre époque explique Patrick Eveno, spécialiste de l’économie de la presse et des médias à la Sorbonne. La Nouvelle République est justement un quotidien isolé ne bénéficiant d’aucune rentrée d’argent apportée par de nouveaux investisseurs”.

En réalité, le système régissant le fonctionnement du quotidien ne semble n’avoir jamais favorisé de tels mouvements. “Ce journal était basé jusqu’à récemment sur un système semi-coopératif où les salariés étaient les principaux actionnaires. Ce système avait été créé pour empêcher une intrusion trop importante dans le capital du journal et donc d’empêcher une éventuelle prise de contrôle étrangère indique Patrick Eveno. Or aujourd’hui, le problème, c’est que ce système ne fonctionne plus”.

A sa création, La Nouvelle République a pris le statut de société anonyme à participation ouvrière (SAPO) : en clair, tous les salariés sont actionnaires et tout actionnaire ne peut disposer de plus de 20 % des droits de vote au Conseil d’administration. De quoi refroidir d’éventuels investisseurs. Une hypothèse que réfute malgré tout Hugues Le Guellec, délégué CGT à La Nouvelle République : « Tout ceci reste à la marge. Les gens disent que nous étions sous-capitalisés en gardant le statut de SAPO mais la vraie raison du déclin du journal est à chercher ailleurs ».

Pour les journalistes, la mauvaise santé du titre s’expliquerait plutôt par « la gestion hasardeuse » du directoire. « Tout est allé de travers : les choix stratégiques de la direction ne sont pas les bons depuis plusieurs années. Rien n’a été fait pour développer le rédactionnel » explique Hugues Le Guellec. Depuis vingt ans, six plans sociaux ont émaillé la vie du journal et si l’on en croit le délégué syndical « aucun véritable investissement n’a suivi pour soutenir le travail des journalistes ».

Autre exemple de cette « gestion hasardeuse » : le lancement mal calculé de l’édition dominicale du quotidien en 2006. « Nous demandions son lancement depuis près de dix ans, comme de nombreux quotidiens régionaux raconte Hugues Le Guellec. Cette édition est arrivée trop tard, la direction a trop tergiversé, et privilégié l’aspect marketing au détriment des demandes de la rédaction. Résultat, tout est bancal et cette édition mine le travail des journalistes ».

Accusée, pointée du doigt, la direction du journal, placée sous le contrôle de la famille Saint-Cricq, héritière du fondateur Jean Meunier, est donc appelée à démissionner « immédiatement » par les syndicats. « Ce journal a été accaparé au fil des années par une famille qui en ont fait un héritage familial. En décidant de licencier une partie d’entre nous, ils fuient leur responsabilité et essayent de sauver leur tête. Pas facile, il est vrai, de lâcher une situation confortable à quinze mille euros par mois » peste Hugues Le Guellec.

Aujourd’hui, si le licenciement d’une partie du personnel n'est pas encore acté, le futur du journal prend, lui, des contours plus précis. “Désormais, dans le petit monde de la presse régionale, c’est la concentration qui prime explique Patrick Eveno, les grands groupes de presse absorbent au fur et à mesure les petits titres. Et la Nouvelle République n’échappera pas à cette tendance : elle passera très vite sous le giron du groupe La Montagne”.

A la faveur d‘une restructuration de ses différents bureaux locaux, la Nouvelle République devrait donc passer très bientôt sous le contrôle de son voisin auvergnat, un des poids lourds de la presse quotidienne régionale comme le sont également La Voix du Nord ou Ouest-France. “Malgré la crise de la presse, ces quotidiens ont les moyens d’absorber d’autres titres car ils ont su projeter leur gestion sur le long terme” ajoute Patrick Eveno.

En attendant de régler cette passation de pouvoir, la direction de La Nouvelle République devra donc gérer la grève "reconductible". Même si le journal est réapparu ce matin dans les kiosques, les délégués syndicaux ont annoncé que le mouvement de grève pourrait reprendre après le second comité d’entreprise, le 13 août prochain.

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